Guy Bergeaud Interviewé par Les EchosArticle de Caroline Montaigne citant Guy Bergeaud dans les Echos du 19 janvier 2010.
Traverser un désert, trouver de l'or et le ramener au camp après avoir bravé intempéries et imprévus. En septembre dernier, 50 commerciaux de la SSII Econocom se sont prêtés au jeu. Insolite, l'exercice, baptisé « L'or des rois du désert » et conçu par l'organisme de formation Eagle's Flight, n'était pourtant pas si éloigné de leur activité : « Le scénario correspondait à ce qu'ils vivaient au quotidien : le désert, c'était la crise ; les montagnes, les clients à conquérir… », raconte Loïc Braye, directeur commercial d'Econocom. L'idée ? « Redynamiser les équipes de manière ludique et renforcer les synergies pour gagner en performance », poursuit-il.
Ce jour-là, les apprentis chercheurs d'or d'Econocom ont mesuré l'importance d'une solide méthode dans la tourmente. Surtout, l'épisode a remobilisé les troupes et, accru, selon Loïc Braye, leur confiance dans la direction de l'entreprise. Un sentiment plutôt rare à l'heure où, d'après un sondage TNS Sofres pour Altedia, 61 % des salariés français estiment que les intérêts des dirigeants et des collaborateurs « ne vont pas dans le même sens ». Expérience unique Crise de confiance, démobilisation des équipes, manque de cohésion ou d'enthousiasme, le contexte morose a laissé des traces sur le moral des collaborateurs. Ainsi, de Canon à Vivendi, certains employeurs misent désormais sur des méthodes décalées pour faire passer leurs messages. Leur pari : les salariés, amenés sur un terrain qu'ils ne maîtrisent pas, sont pris par surprise, abandonnent leurs réflexes et prennent conscience que ce qu'ils croyaient impossible ne l'est peut-être pas. En témoigne Walter Cacace, directeur général de Mistigriff, une PME de 360 personnes qui commercialise de grandes marques à prix cassés. Guidés par Pépites d'Art, ses sept cadres dirigeants, maracas et tambourins en mains, ont dû, au pied levé, former un orchestre pour donner un concert. « Depuis des mois, j'essayais d'instaurer un changement de stratégie pour que Mistigriff se développe davantage, mais je n'étais pas suivi, se souvient Walter Cacace. Une fois le concert fini, tout était différent. Ils avaient réussi. Et cela a provoqué un déclic. » De fait, au second semestre 2009, le chiffre d'affaires a bondi de 16 %. De son côté, Canon France souhaitait faire accepter un changement de politique salariale à ses 200 commerciaux. « Auparavant, lorsque nous avions fait évoluer leur rémunération, cela n'avait pas été très bien vécu. Certains de nos meilleurs éléments étaient partis », souligne Ariel Oliel, directeur commercial, qui a appelé à la rescousse MultiComédie. Le temps d'un séminaire, 80 responsables commerciaux se sont trouvés en situation inconnue (ils devaient concevoir une pièce de théâtre) et de changement permanent (une fois la pièce montée, ils devaient en écrire une seconde). « L'expérience leur a prouvé qu'ils étaient capables d'appréhender de nouvelles situations et de rebondir », analyse Philippe Coste, directeur associé de MultiComédie. Du coup, « ils ont fait la promotion du nouveau système de rémunération, qui a, cette fois, été très bien accepté », ajoute Ariel Oliel. Pourquoi ce type d'apprentissage semble-t-il fonctionner là où les formations classiques échouent ? D'abord, estiment les professionnels, l'approche ludique prend le pas sur les angoisses quelques heures durant. Et puis, « cela crée un vécu commun, une expérience unique dont on reparle des mois après, observe Guy Bergeaud, qui dirige Eagle's Flight. Et contrairement à un après-midi de karting ou de tir à l'arc, qui ne sera que distrayant, les enseignements tirés sont transposables dans un univers professionnel ». Car, selon lui, si la forme est ludique, le fond est très sérieux. Stéphanie Palazzi, médecin psychiatre, émet, toutefois, quelques réserves : « Ne devrait-on pas pouvoir construire une équipe autour d'un but commun, créer de la cohésion ou encore travailler sur les résistances en situation de travail, sans devoir passer par un artifice comme le jeu ? Cela pose des questions quant à la capacité à manager, à dialoguer ou à faire passer un message. » Ces formations décalées peuvent, d'après elle, compléter des méthodes traditionnelles, mais ne doivent pas combler des insuffisances en se substituant à la communication interne ou à l'animation d'équipe. « Sinon, elles risquent de ne rien régler sur le long terme. » Pourtant, la créativité vient au secours de problèmes en tout genre. Il y a un an, à l'occasion de la fusion entre Neuf et SFR, Vivendi a fait appel à un… prestidigitateur. L'objectif : chasser les idées reçues et inciter les 50 managers de la direction de l'innovation, issus des deux entreprises, à collaborer ensemble. « De prime abord, ils se disaient que ce serait difficile. A la fin de la journée, la question ne se posait plus », remarque Jean-Louis Mounier, en charge de l'innovation chez Vivendi. Chez Pierre & Vacances, c'est la peinture qui a rapproché les 23 salariés chargés d'un gros chantier interne : « Réaliser une fresque de quatre mètres sur deux, en peu de temps, était un vrai challenge… comme l'est le projet en cours », relève Alice Rizzo, directrice des projets métiers. Employeurs mal à l'aise Mais l'exercice peut avoir des limites. « Le risque est que cela soit parfois infantilisant pour les collaborateurs. Or, en temps de crise, quand le travail est difficile, cela peut avoir quelque chose de gênant, voire d'indécent », poursuit Stéphanie Palazzi. En 2009, les chiffres d'affaires de Pépites d'Art et d'Eagle's Flight ont fondu de 20 à 30 %. Les deux sociétés n'ont pas baissé leurs prix, mais les demandes se sont faites plus modestes : la tendance est aux groupes restreints, avec un recentrage sur les fonctions stratégiques (le Top 50, les managers ou encore les commerciaux car il faut générer du chiffre d'affaires) et sur les problématiques phares de l'entreprise. Résultat, le budget moyen a chuté de 5.500 à 2.500 euros par événement. En ces temps de restrictions budgétaires, l'idée d'investir dans des formations ludiques met certains employeurs mal à l'aise. « C'est tout le paradoxe, constate Patrick Moreau, directeur de Pépites d'Art. On resserre les vannes alors que c'est justement dans le contexte actuel que les salariés ont le plus besoin d'accroître leur cohésion. » Il reste pourtant confiant : d'ici deux à trois ans, assure-t-il, ce type de pédagogie aura pris le pas sur les formations classiques. Source Les Echos |